

Nantes se trouva bien du régime de la conquête
romaine, qui, unissant ensemble tant de pays, faisait disparaître
tant de barrières. Elle devint l'entrepôt des métaux de l'Armorique
et de la Grande-Bretagne, qui de là s'en allaient à Lyon, à Marseille,
à Rome, pour s'y échanger contre les denrées et les produits industriels
du Midi et de l'Orient. Longtemps subsista, près de la porte Saint-
Pierre, un monument qui attestait cette prospérité c'était une salle
voûtée longue de 50 pieds, large de 25, qui paraît avoir été une
bourse ou un tribunal de commerce, d'après une inscription découverte
en ce lieu et où l'on voit que cet édifice était consacré au dieu
Janus ou Volianus.
Il fallut dire un long adieu à cette richesse,
à ce mouvement commercial, quand vint l'invasion barbare. Clovis,
vainqueur des Wisigoths, domina toute la Loire. Un des chefs qui
l'accompagnaient parut, avec une bande de Frisons, sous les murs
de Nantes. La ville était perdue. Le barbare, qui depuis deux mois
la bloquait, s'en croyait déjà maître, quand une nuit, à minuit,
tourmenté par une insomnie que lui envoyait sans doute le Très-Haut
pour l'avertir, il vit de son camp se dessiner, s'allonger dans
le lointain une procession de personnages vêtus de blanc, qui sortaient
lentement, un cierge en main, de l'église des martyrs Donatien et
Rogatien. L'épouvante le saisit ; il s'écria que « Christ était
le vrai fils de Dieu et s'enfuit avec ses barbares.
Nantes fut
rattachée à la Bretagne et devint le chef-lieu d 'un comté séparé.
Mais bientôt Clotaire Ier la fit tomber sous le joug
des Francs et s'y fit représenter par l'évêque Félix, que Grégoire
de Tours a chargé d'anathèmes et que les Nantais révèrent. Félix
commença la série de ces évêques de Nantes que nous verrons plus
tard y exercer une souveraineté temporelle. II fut un grand bienfaiteur
du pays.

L'Erdre se répandait en marais, il l'endigua.
Nantes était à quelque distance de la Loire, au confluent de l'Erdre
et du Seil ; il amena la Loire à ce même confluent, de telle sorte
que la ville fut baignée par trois cours d'eau, dont un grand fleuve.
« C'est votre génie, Félix, écrivait le poète Fortunat, qui, leur
donnant un meilleur cours, force les fleuves à couler dans un nouveau
lit. 0 Félix ! que vous devez être habile à diriger la mobilité
des hommes, vous qui avez su soumettre à vos lois des torrents rapides.
» Félix s'illustra surtout par l'inauguration de la cathédrale en
560, commencée par son prédécesseur, Évhémère, à la place même où
s'élève la cathédrale actuelle. « Le vaisseau estoit si superbe
en sa structure, dit le P. Albert, et si riche en ornemens et parures,
qu'il ne s'en trouvoit point de pareil en toute la France. Toutes
les parois en dedans estoient revestues d'images et de peintures
très riches faites à la mosaïque la voûte, tout azurée, semée de
grosses estoiles d'or, représentoit le firmament tout le bastiment
estoit couvert de fin estain de Cornouaille insulaire, si clair,
qu'aux rayons du soleil ou de la lune il ressembloit à l'argent.
Sur la croisée s'eslevoit une tour pyramidale, pareille à deux autres
qui estoient de part et d'autre du portail ; les arcades et voustes
estoient enrichies à la romaine de belles figures pétries de stuc
et de plastre. » On peut juger, par cette description, et du
style de l'architecture de ce temps et de la richesse du clergé
nantais, qui était grande.
Une des abbayes les plus riches de
la contrée était celle de Vertou, près de Nantes, fondée par saint
Martin.
Or, un jour, Martin, voyageant avec un compagnon, s'éloigna,
laissant à celui-ci la garde de l'âne qui portait leur bagage. Le
malheureux s'endormit, et, pendant son sommeil, un ours vint manger
l'âne. Le désespoir du dormeur fut grand au retour de Martin. Mais
celui-ci, souriant de ses craintes, appela l'ours, lui mit sur le
dos le bagage et le lui fit porter jusqu'au couvent, qui s'empressa
de reconnaître pour saint un homme à qui Dieu déléguait si manifestement
sa puissance sur les bêtes féroces. Ce saint fut très fêté dans
la suite par les habitants du pays. Mais Dagobert trouva que le
clergé nantais était déjà trop riche et lui retira près des trois
quarts de ce qu'il possédait.
On voit que les rois francs faisaient
leur volonté dans le comté de Nantes. Ils ne cessaient pas d'y envoyer
des gouverneurs, que les habitants du pays acceptaient, bien moins
hostiles aux Francs qu'à leurs voisins les Bas-Bretons, avec lesquels
ils étaient sans cesse en guerre. Nantes et Rennes étaient les deux
marches où les Francs rencontraient les Bas-Bretons. Un certain
Warroch, comte de Vannes, tombait périodiquement sur les bords de
la Loire au temps des moissons et de la vendange et venait couper
à coups de sabre et de hache le blé et les raisins que les malheureux
Nantais avaient fait fructifier. Genre de calamité bien fréquent
au moyen âge !

Ce n'était, au reste, que le prélude des
ravages plus terribles des Norhmans ; Un prétendant au comté de
Nantes, nommé Lambert, évincé par Charles le Chauve, appela ces
pirates qui marquent une époque de deuil dans l'histoire de presque
toutes nos provinces. Trois fois ils le ravagèrent au temps de Noménoë.
Ils égorgèrent au pied des autels l'évêque Gohard et son clergé,
scène qu'un de nos peintres a représentée à l'Exposition de 1852.
Au moins Numénoë et Erispoë, rois de Bretagne, les combattirent
; mais Salomon, qui leur succéda, laissa les barbares saccager Nantes
de fond en comble, si bien que tous les habitants s'enfuirent.
Les Nantais savent-ils que leur ville riche et populeuse ne fut
pendant trente ans qu'un désert, et que, lorsque le jeune comte
Alain Barbe-Torte, qui défit les Northmans, voulut aller en rendre
grâces à Dieu dans cette belle basilique dont on vient de lire la
description, il lui fallut, de son sabre, se frayer un chemin à
travers les ronces qui avaient poussé sur les ruines? Ce n'est point
sans miracle que le vaillant guerrier triompha.
Dans la prée
d'Aniane (aujourd'hui quartier de Sainte-Catherine), il avait rencontré
les barbares païens. La soif dévorait ses soldats. Il invoqua la
Vierge ; une fontaine jaillit, qui fut appelée la Fontaine de Notre-Dame.
Relevée de ses ruines, Nantes retrouva son existence troublée par
les attaques de ses voisins. Tombée au pouvoir du duc de Bretagne,
Conan le Tors, délivrée par Foulques d'Anjou qui battit le duc à
Conquereul (992), annexée enfin au trône ducal de Bretagne en 1084,
plus tard révoltée contre les ducs, recevant Geoffroy d'Anjou, frère
du roi d'Angleterre Henri II, prise ensuite par ce roi lui-même,
et enfin tombant sous le protectorat de Philippe- Auguste après
l'assassinat d'Arthur, telles furent les vicissitudes par lesquelles
passèrent la ville et le comté de Nantes au XIème et
au XIIème siècle.
Dans ce même XIIème siècle,
elle fut victime d'une calamité bien plus terrible. Un incendie
la consuma en 1118, si complètement, qu'il ne resta debout qu'un
ou deux édifices. Pour la seconde fois, il fallut la rebâtir en
entier. De là vient qu'aujourd'hui, à dix pieds au-dessous du pavé
de la nouvelle ville, on retrouve celui de l'ancienne. Nantes eut
du moins la consolation de recevoir saint Bernard, qui l'honora
d'un miracle depuis six ans un démon lascif tourmentait une femme
de qualité avec tant d'obstination qu'il se glissait jusque dans
le lit de la malheureuse, même lorsqu'elle y était avec son époux.
Saint Bernard le chassa et lui imposa la loi de s'abstenir à l'avenir
de cette femme et de toute autre.

Alain Barbe-Torte avait divisé Nantes en trois parts ; il en avait pris une, donna la seconde aux seigneurs ses compagnons et la troisième à l'évêque. Ce partage fut une source de discordes. L'évêque se montra toujours fort jaloux de ses droits quand ses hommes prêtaient serment au duc, c'était sous cette réserve « sauf la fidélité que nous devons à l'évêque. » Le tiers des revenus de la ville lui appartenait. Il percevait rigoureusement les droits de tierçage et de past nuptial. En temps de guerre, son armée, sous la bannière épiscopale, marchait distincte de l'armée ducale. Il prétendait de plus à une juridiction tout à fait indépendante de celle du duc et on le voit même, dans un acte du XIIIème siècle, affirmer que son église est un fief plus noble que comté ou baronnie et ne relève ni de duc ni de prince, mais du pape seul. Enfin, lorsqu'il entrait dans la ville de Nantes, les quatre plus puissants seigneurs du comté, barons de Châteaubriant, d'Ancenis, de Retz (ou Rais) et de Pontchâteau le portaient sur leurs épaules depuis le parvis de la cathédrale jusqu'au maître-autel. De ces prélats orgueilleux le plus obstiné dans ses prétentions fut Étienne de La Bruère, qui voulut empêcher le duc Pierre de Dreux d'étendre les remparts de Nantes à la portion qui lui appartenait, en appela au pape et quitta son évêché. L'affaire au reste s'arrangea plus tard, et les évêques furent plus modérés, sans renoncer toutefois à leurs arrogants privilèges. On vit un duc de Bretagne lui-même, Jean IV, comme baron de Retz et de Châteaubriant, placer sa noble épaule sous la chaise épiscopale. Par des concessions mutuelles, un rapprochement s'était opéré entre les Nantais et les Bretons bretonnants.

En effet, si Nantes ne marqua pas d'une manière
prononcée dans les guerres de parti dont la Bretagne fut le théâtre
au XIVèmesiècle, elle se déclara pourtant avec énergie
contre le roi Charles V, et, obligée d'ouvrir ses portes à Du Guesclin,
elle saisit la première occasion de revenir au duc. Jean V y établit
ensuite sa résidence, et tous ses successeurs firent de même, jusqu'à
l'époque de la réunion du duché au royaume. Ainsi, à la fin du moyen
âge, Nantes devint non seulement une ville toute bretonne, mais
même la capitale du pays. Elle profita à tous égards de son nouveau
titre. D'abord, Jean V lui accorda une communauté avec des droits
et franchises fort étendus, tandis qu'auparavant les bourgeois n'avaient
jamais pris qu'une part accidentelle et passagère aux affaires de
la cité. Ensuite, Jean la dota d'une cathédrale nouvelle. L'ancienne,
échappée à l'incendie de 1118, tombait en ruine. La nouvelle fut
bâtie dans le style gothique flamboyant, qui était celui de l'époque.
Elle est remarquable par sa belle façade, son portail à trois entrées,
ornées de figurines en pierre d'un dessin fort pur, et par sa nef
élevée, que soutiennent seulement dix piliers. Elle fut dédiée à
saint Pierre, dont on y plaça le portrait avec cette inscription
:
L'an mil quatre cent trente-quatre,
A my-avril sans
moult rabattre
Au portail de cette église
Fut la première
pierre assise.
Les évêques de Nantes avaient plié devant
le duc de Bretagne. Mais comment se résoudre à laisser éclipser
leur ancienne puissance par la présence de ce grand souverain féodal
? Dès que l'occasion fut favorable, ils reprirent leur ancien esprit
d'indépendance. Or, à ce moment, les grands seigneurs féodaux étaient
énergiquement attaqués par un bien habile et bien puissant adversaire,
Louis XI. Tout occupé qu'il était à détruire la puissance bourguignonne,
Louis XI n'en songeait pas moins à cet autre grand fief, la Bretagne,
qu'il eût bien trouvé moyen, s'il eût vécu davantage, de détruire
à son tour. Il s'en préparait les voies et accueillit successivement
deux évêques de Nantes, Guillaume de Malestroit et Amaury d'Acigné,
chassés de leur diocèse, à la suite de violents démêlés avec le
duc. Il les garda précieusement sous sa main, afin d'avoir, au premier
moment, un prétexte de s'immiscer aux affaires du duché. Il vint
même deux fois à Nantes sous couleur de médiation mais quelle médiation
que celle qui n'a pour but que de fomenter les discordes et d'en
recueillir les fruits. Après tout, ce qu'il ne put faire, son successeur
le fit, et François II fut le dernier duc de Bretagne. C'est François
II qui acheva, en 1480, et flanqua de quatre grosses tours ce beau
château de Nantes, fondé en 938 par Alain Barbe-Torte, et qui fit
dire plus tard à Henri IV « Ventre-saint-gris les ducs de Bretagne
n'étaient pas de petits compagnons » C'est dans ce château que se
passa une des dernières scènes de la lutte de l'indépendance bretonne
contre la France. C'est de là que fut arraché Landais, ce favori
fameux, si hostile à la royauté française, et qui, durant tout le
temps de sa faveur, fit de la Bretagne la tête des ligues féodales.
Ce fils d'un tailleur de Vitré avait pris un empire absolu sur l'esprit
du duc, autrefois dominé par Lescun, chef du parti français. Ce
parti l'emporta. Le peuple de Nantes, soulevé par lui, se précipita
dans le château où se trouvait le duc. François II résista d'abord
puis, s'étant fait assurer qu'on ne réservait pas à son favori d'autre
châtiment que la prison, il alla ouvrir l'armoire où le malheureux
s'était blotti. On l'emmena, on le mit à la torture, on le pendit.
Pendant ce temps, François II disait à Lescun « Compère, j'ai su
que l'on besogne au procès de mon trésorier. Ne savez-vous rien
? Oh ! répondait Lescun, on y trouve de merveilleux cas dont on
vous soumettra le jugement. Ainsi je veux, reprit le duc ; car,
quelque cas qu'il ait commis, je lui donne grâce et ne veux point
qu'il meure ! ». Peu de temps après, on apporta la nouvelle de la
mort du favori. Ah traître de compère ! s'écria le bon duc en repoussant
Lescun. C'était plus qu'un homme, c'était l'indépendance bretonne
qui périssait. Livré à l'influence française, François Il fit bientôt
la paix, et, quand il eut cessé de vivre, son héritière, la duchesse
Anne, ne tarda pas à tomber au pouvoir de Charles VIII qui l'épousa.
Mais on conçoit l'attachement que les Bretons conservèrent pour
leurs derniers souverains nationaux, lorsqu'on remarque que l'époque
de François Il et d'Anne est l'époque brillante de la Bretagne indépendante.
Alors fut établie l’université de Nantes alors florissait le poète
nantais, Meschinot, ennemi des grands, ennemi de l'évêque, partant
cher au peuple, et dont Marot prisait beaucoup les vers. Les arts
jetaient aussi de l'éclat.
En 1507, Michel Colomb élevait le
mausolée de François II, qui est une des belles productions de la
Renaissance et que l'on admire encore dans la cathédrale. Les statues
de François II et de Marguerite de Foix, sa seconde femme, y sont
couchées avec un lion et un lévrier à leurs pieds trois anges agenouillés
soutiennent les coussins de marbre à broderies sur lesquels reposent
les têtes des deux époux. Quatre statues de femmes allégoriques
sont debout aux quatre angles l'une d'elles représente la Justice
sous les traits d'Anne de Bretagne ; une autre est la Providence
à deux visages, ingénieuse allégorie, d'un côté un vieillard de
type bas-breton bien prononcé, de l'autre une jeune fille fort ressemblante
aux beautés de Saint-Pol-de-Léon ; la troisième statue est la Force,
dont la tête est crènelée et qui étouffe un monstre dans sa main.
La quatrième, la Tempérance, qui tient un mors de bride et une horloge.
C'est bien là l'esprit ingénieux de la sculpture de la Renaissance,
et l'exécution n'est pas inférieure à la conception.

Le commerce de Nantes ne prospérait pas moins que les lettres et les arts. Dès le XIVème siècle, elle faisait le commerce du blé, du vin, du sel et du poisson avec tous les points des rives de la Loire, et par ses vaisseaux avec Bordeaux, La Rochelle, l'Espagne, l'Angleterre et les pays du Nord. François II conclut avec toutes les puissances du Nord des traités de commerce. La marine nantaise se perfectionnait elle envoya à Charles VIII deux navires de mille tonneaux chacun, et plus tard, au-devant d'Éléonore de Portugal, épouse de François 1er, deux galiotes à chambres vitrées, somptueusement meublées. Pourtant, devenue française, Nantes gagna encore en prospérité, parce qu'elle eut plus de repos et de sécurité. La Réforme, qui agita si profondément la France dans le siècle suivant, la troubla peu. Les protestants firent de grands efforts pour y établir leur influence déjà fort répandue dans l'Ouest ; ils n'y réussirent pas, et la majorité demeura catholique ; mais, si l'on excepte l'extravagance cruelle d'un de ses évêques, Antoine de Créqui, lequel s'en alla, avec une pièce de canon, dissiper, sans sommation, une réunion de protestants au Croisic, elle se montra généralement modérée. Les magistrats refusèrent de prendre part à la Saint-Barthélemy, et on lit encore aujourd'hui dans le livre de ses délibérations : « Rassemblés dans la maison commune, le 3 septembre 1572, le maire de Nantes, les échevins et suppôts de la ville, les juges consuls firent le serment de maintenir celui précédemment fait de ne point contrevenir à l'édit de pacification rendu en faveur des calvinistes et firent défense aux habitants de se porter à aucun excès contre eux. » Nantes se montra fort attachée au duc de Mercœur, à qui Henri IV donna la Bretagne, et, lorsqu'il se déclara contre Henri IV, elle le soutint énergiquement et fut des premières à proclamer le roi de la Ligue, Charles X. Elle ne céda que lorsqu'il lui fut impossible de continuer la résistance. Alors Henri IV y vint en personne et y rendit ce fameux édit de Nantes, par lequel la tolérance religieuse devint une loi de l'État, violée, il est vrai, depuis, plus d'une fois, mais ineffaçable dans ses résultats.

Toutefois Nantes eut
alors à faire tant de dépenses, soit pour des indemnités au duc
de Mercœur, soit pour la réception du roi, qu'elle garda toujours
des sentiments assez hostiles à l'égard du renégat, comme elle appelait
Henri IV. Depuis Charles VIII, les économes Nantais se plaignaient
de la répétition trop fréquente de ces onéreuses visites royales.
C'étaient des 16,000 francs de vin, des 10,000 francs de confitures,
des joutes sur l'eau, des processions, des fêtes de toutes sortes
qu'il fallait organiser. Louis XIII y vint trois fois pour faire
cesser les intrigues de la maison de Vendôme dans la province. La
dernière fois, Richelieu l'accompagnait et fit tomber une tête illustre,
celle de Henri de Talleyrand, comte de Chalais, au pied de ce vieux
château du Bouffay (1), qui fut témoin de tant d'exécutions. Ce
n'est qu'au trente-cinquième coup de hache qu'elle se détacha complètement
du corps en 1626. Au château de Nantes fut plus tard enfermé le
fameux cardinal de Retz, qui s'en échappa au moyen d'un corde, comme
il nous l'a lui-même si bien raconté dans ses Mémoires. Louis XIV
y parut à son tour en 1661 et y fit arrêter Fouquet. C'est encore
à Nantes, et sur la place du Bouffay, que furent décapités quatre
nobles bretons, complices de Cellamare, sous la Régence : Du Couédic,
de Pontcallec, de Talhouet, de Montlouis. L'exécution eut lieu à
neuf heures du soir, le 18 mars 1720, au milieu du morne silence
de la population.
Au reste, Nantes n'était pas seulement le théâtre
des rigueurs du gouvernement elle était aussi l'objet de ses faveurs.
Richelieu avait saisi d'un coup d'œil l'importance de cette ville
et pris des mesures pour elle. Colbert y établit une des chambres
de direction de la Compagnie des Indes orientales. C'est alors,
c'est-à-dire à la fin du XVIIème siècle et pendant tout
le XVIIIème, que Nantes jouit de la plus brillante prospérité.
Vers 1700, elle occupait trente vaisseaux à la pêche de la morue
et de la baleine et recevait dans son port soixante bâtiments de
pêche de La Rochelle et des autres ports. En 1715, elle expédiait
quatre-vingt-sept bâtiments de cent à trois cents tonneaux aux Antilles.
Elle fit surtout la traite des noirs sur une grande échelle. De
1720 à 1790, devenue riche, elle s'embellit et se fortifia. Son
enceinte gallo-romaine, dont la circonvallation parait avoir été
conservée près de sept cents ans, avait son point de départ à la
tour de la Poissonnerie, près du Bouffay, sur la Loire ; elle suivait
les rues de la Poissonnerie, des Carmes et de Saint-Léonard, jusqu'à
l'église de ce nom, où elle se retournait presque à angle droit,
en longeant la rue Garde-Dieu, jusqu'à l'église des Cordeliers ;
de là, elle gagnait la tour du Trépied, dont l'emplacement correspondait
à la maison n° 7 de la rue Royale, pour se réunir ensuite avec le
long côté (1.)

Ce château occupait, avec la tour du beffroi,
le vaste emplacement sur lequel on a élevé en 1848, place du Bouffay,
une belle construction. Il avait été bâti vers la fin du Xème
siècle, par Conan, comte de Rennes, qui s'était emparé de Nantes
; sa forme était quadrangulaire, avec une tour à chaque angle. Ce
château devint un palais de justice en 1477. La tour de l'Horloge
datait de 1661 ; l'horloge et la tour, élevées aux frais de la ville,,
avaient coûté 16,905 livres, ainsi que l’attestait une inscription
de 1664.
qui bordait la rive droite de la Loire sur l'emplacement
même du château. L'enceinte des fortifications, commencée par Guy
de Thouars en 1707, était beaucoup plus étendue ; elle montait du
château vers la cathédrale, devant laquelle elle passait, et descendait
vers l'Erdre, dont elle suivait ensuite le cours sur la rive gauche,
à peu près jusqu'à l'emplacement de l'écluse actuelle puis elle
traversait l'Erdre et allait contourner l'église Saint-Nicolas,
pour descendre de là sur la Loire, dont elle remontait la rive droite
jusqu'au château. On comptait cinq entrées principales, toutes flanquées
de deux tours et précédées d'un ouvrage avancé en forme de demi-lune
(ajouté dans la suite) destiné à les couvrir, savoir la porte Saint-Pierre,
dont l'ouvrage avancé s'étendait sous la colonne Louis XVI la tour
Gillet, présentant une grande saillie dans l'Erdre, et au devant
de laquelle existait, sur cette rivière, un pont qui semblait plutôt
établi pour les sorties des défenseurs que pour servir d'entrée
naturelle aux habitants ; la porte Sauvetour, sur la rive droite
de l'Erdre ; la porte Saint-Nicolas, près de l'église de ce nom
; et enfin la porte de la Poissonnerie, à laquelle aboutissait la
ligne des ponts sur la Loire. Les fortifications étaient, en outre,
flanquées d'un grand nombre de tours, parmi lesquelles on remarquait
la tour du Trépied, du Papegai, du Connétable ; les tours du Râteau,
au confluent de l'Erdre ; la tour Saint-Jacques, sur la tour du
Bouffay, et la tour du Port-Maillard. Cette enceinte formait une
nouvelle ville autour de la paroisse Saint-Léonard, qui n'était
pas comprise dans les anciennes murailles.
De 1722 à 1730, les
constructions de l'île Feydeau s'élevèrent le palais de la cour
des comptes, aujourd'hui préfecture en 1763 le magnifique cours
des États et cette belle plantation d'ormes sous lesquels se déchargent
les marchandises sont du même temps ; de 1785 à 1790, le fermier
général Graslin fit construire la ville nouvelle qui s'élève autour
de la place Graslin. On évaluait la population de Nantes, en 1789,
à 90,000 habitants. Lorsque la Révolution éclata, Nantes en reçut
de rudes ébranlements. Sa riche population commerçante entra dans
les idées nouvelles, mais en s'arrêtant à un juste milieu. L'insurrection
vendéenne avait gagné toutes les campagnes à l'entour. Les Nantais
la tinrent quelque temps en échec par leurs victoires mais elle
reprit le dessus tout le cours de la Loire jusqu'à Saumur tomba
en son pouvoir ; il ne lui manquait plus que Nantes, d'où elle eût
tendu la main aux émigrés et aux Anglais. La ville ne paraissait
pas en état de résister. Elle n'avait que 11,000 hommes contre près
de 100,000. Mais l'énergie du maire Baco et la froide habileté du
général Canclaux la sauvèrent. « Soyons tous soldats, s'écria Baco
et s'il faut mourir, que ce soit au cri de vive la République !
Décrétons la peine de mort contre quiconque parlera de capituler.
» Cet homme héroïque fut blessé ; mais, de l'autre part, le meilleur
des chefs vendéens, Cathelineau, tomba frappé à mort. Cette belle
résistance est du 29 juin 1793.

Mais Nantes ne marcha pas du même
pas que la Convention. Elle laissa même paraître des tendances fédéralistes
dans lesquelles tomba le maire Baco. Il fut jeté à l'Abbaye pendant
un voyage qu'il fit à Paris, et Nantes vit paraître des commissaires
d'abord Foucher et Villers, représentants du peuple pour le département
de la Loire-Inférieure, puis Merlin et Gillet, enfin Carrier, qui
déshonora la République par les crimes affreux dont il ensanglanta
Nantes et dont il souilla la Loire. Rappelé à Paris, Carrier porta
sa tête sur l'échafaud. Mais Nantes ne fit plus rien de remarquable
pour la République, qui lui avait été si cruelle. Elle vit seulement
tomber sous les balles des soldats, sur la place de Viarmes, le
Vendéen Charette, fait prisonnier, et qui lui-même commanda le feu
en montrant son cœur « Soldats, frappez là. »
Nantes fut visitée
par Napoléon et Joséphine. En 1830, elle prit part à la révolution.
En 1832, on arrêta dans ses murs la duchesse de Berry. Après avoir
parcouru cinq mois les villages de la Vendée, sous des habits de
paysanne, elle s'était réfugiée chez les demoiselles du Guigny,
rue du Château, et s'y tenait cachée. Un juif, nouvellement converti
et comblé de ses bontés, nommé Deutz, la trahit. La police fit une
descente, mais d'abord sans succès. On croyait déjà la duchesse
évadée, lorsque deux gendarmes, ayant allumé du feu dans une des
cheminées, entendirent sortir de derrière la plaque du foyer une
voix suppliante « Otez le feu, nous allons sortir. » La duchesse
était là depuis seize heures avec mademoiselle de Kersabiec et messieurs.
de Mesnard et, Guibourg, dans l'impossibilité de faire un mouvement.
Ainsi, Nantes vit expirer la monarchie légitime, comme elle avait
vu expirer jadis, avec Landais, avec François II, l'indépendance
féodale.
Depuis, Nantes n'a pas cessé de grandir, à la faveur
de la paix. De nouveaux édifices, de nouveaux quartiers, couverts
de belles constructions, de nombreuses fontaines, des statues élevées
sur ses places ou dans ses promenades, plusieurs boulevards ou avenues,
le canal de Nantes à Brest en ont fait une des plus belles villes
de la France. La construction du bassin à flot de Saint-Nazaire,
le chemin de fer qui relie cette ville à la capitale sont venus
augmenter encore et sa richesse et sa prospérité commerciale. Sa
population est aujourd'hui de 122,247 habitants. Nantes n'a pas
eu à souffrir de la guerre de 1870-1871. C'est une ville bien moderne,
bien française elle a plus de seize cents rues, de fort beaux quais,
plusieurs ponts sur la Loire. Parmi ces derniers, il faut remarquer
cette chaine de ponts qui se développent en ligne à peu près droite
d'une rive à l'autre de la Loire, soudant ses iles entre elles.
Ces ponts, d'abord construits en bois, puis successivement réparés
ou reconstruits, mais dont l'origine remonte à plus de dix siècles,
sont le pont de la Poissonnerie ou d'Aiguillon, reconstruit en 1670
et réparé depuis en 1757 son arche unique est d'une construction
hardie ; celui de la Belle- Croix, construit en 1476, la pyramide
est de 1635 ; celui de la Madeleine, dont la première pierre fut
posée en 1580 il a été considérablement élargi en 1845 ; le pont
Toussaint et celui des Récollets ; enfin, le pont de Pirmil, construit
en pierre en 1563, clos en 1605, garni de nouvelles arches en 1711,
réparé en 1830 et 1842 sa longueur est de 253 mètres. A l'extrémité
on voyait encore il y a une trentaine d'années, les ruines de la
tour de Pirmil, construite en 1365 par l'amiral Bouchard, d'après
les ordres du duc Jean IV. Nous avons décrit plus haut la vieille
cathédrale Saint-Pierre, la plus grande de toute la Bretagne (elle
a plus de 100 mètres de longueur), et dont le chœur, les chapelles,
et les bas-reliefs ont été récemment restaurés. C'est un monument
historique. Nantes possède plusieurs autres églises remarquables,
notamment Sainte-Croix, qui occupe l'emplacement d'un ancien temple
païen ; Saint-Jacques, qui date du Xème siècle ; Saint-Nicolas,
dont on admire la belle flèche en pierre la Madeleine, Notre-Dame
de Bon-Port, Saint-Donatien, Saint-Clair, Sainte-Anne ; les chapelles
du grand et du petit séminaire, la Visitation, etc. Citons encore,
parmi les nombreux monuments de Nantes le Temple protestant, le
Château, ancienne résidence des ducs de Bretagne, et qui a servi
de prison au cardinal de Retz, à l'intendant Fouquet et à la duchesse
de Berry ; l'ancien Palais de la Cour des comptes (aujourd'hui l'Hôtel
de la préfecture), l'Hôtel de ville, dont le portique est surmonté
des statues de la Loire et de la Sèvre ; le Palais de justice, la
Bourse, édifices modernes le Théâtre, le Muséum d’histoire naturelle,
le Musée de peinture et de sculpture, l'un des plus remarquables
de France ; la Bibliothèque, riche en manuscrits et en estampes
; l'Hôpital général, J'Hôtel- Dieu, la Halle aux grains, l'École
des sciences, la Poissonnerie, le Musée archéologique, le cimetière
de la Miséricorde, où s'élèvent les tombeaux de Cambronne et du
général de Bréa ; le beau Jardin des plantes, etc. Nantes possède
des chantiers de construction de navires, des raffineries de sucre
et des fabriques de conserves alimentaires ces deux dernières industries
surtout y ont pris une grande extension. Son port est l'un des plus
importants de France le mouvement d'importation et d'exportation
s'y est élevé, en 1875, à 624,797 tonnes. Nantes a vu naître les
deux martyrs chrétiens saints Donatien et Rogatien ; Anne de Bretagne,
reine de France Jacques Cassard, ce marin si hardi et si brave,
qui, un jour, présenté à la cour du grand roi, ne recueillit que
les rires moqueurs des courtisans à cause de ses habits grossiers
et mal taillés. « Messieurs, s'écria Duguay-Trouin le prenant par
la main, voici le premier homme de mer de ce temps et de ce pays.
»
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