

Le Puy (Anicium, Pdium, Santæ Maria). Elle
était autrefois évêché et comté, et dépendait du parlement de Toulouse
et de la généralité de Montpellier. Il y avait, en outre, un commandant,
un subdélégué, une sénéchaussée, un présidial, un bailliage, un
collège, un chapitre, un séminaire et plusieurs couvents. Jadis,
au sommet du mont Anis, s'élevait un temple consacré à Diane chasseresse.
Aux environs de ce temple, dont on voit encore les vestiges, se
groupèrent des habitations, et peu à peu un bourg se forma. On l'appela
Anicium, du nom de la montagne sur la pente et au pied de laquelle
il était situé.
Il y avait, en ce temps-là, dit la légende,
proche la petite rivière de la Borne, une femme dévote qui était
affligée d'une fièvre quarte, et en serait morte si la bonne Vierge
ne l'eût visitée une nuit, lui disant « Lève-toi, ma fille, rends-toi
au plus tôt sur la montagne d'Anis c'est là que je veux te délivrer
de ton mal. » Dès le matin, la dame se fit porter au lieu assigné;
elle y remarqua une pierre large et carrée en guise d'autel, et,
s'y reposant, le sommeil la saisit. Nouvelle apparition de la Vierge.
« C'est ici, lui dit-elle en lui montrant la place où elle voulait
qu'un oratoire lui fût élevé, c'est ici que, te réveillant, ton
mal s'en ira. » Ce qui arriva, en effet. Aussitôt la matrone de
crier au miracle et d'en informer saint Georges, qui prêchait alors
l'Évangile dans le Velay. Saint Georges, suivi de la dame et du
peuple, se rendit sur le mont Anis. «( Chose merveilleuse dit le
père Eudes de Gissey dans son Histoire de Notre-Dame-du-Puy on était
en juillet, au plus fort de la chaleur cependant, par un miracle
digne de mémoire, la neige recouvrait la terre de cette partie de
la montagne; et, comme s'il pouvait rester encore quelques doutes
dans l'esprit de l'assistance sur les volontés d'en haut, tout à
coup apparut un cerf qui, dans une course rapide, se mit à tracer
sur la neige le plan de l'édifice, et disparut ensuite sans qu'on
pût savoir d'où il était venu et comment il était parti. »
Cependant,
le cerf, en traçant le plan, n'avait pas enseigné le moyen de l'exécuter
et saint Georges, malheureusement trop pauvre, ne savait comment
s'y prendre.

Il se contenta de faire planter une haie à l'endroit où le cerf avait passé. Bientôt le bruit de ce miracle se répandit au loin. Saint Martial, apôtre d'Aquitaine, vint en pèlerinage au mont Anis. Il y dressa un autel à la Vierge. Mais la Vierge avait hâte de voir s'élever son oratoire, et elle chargea une matrone de Ceyssac de le faire savoir à l'évêque. C'était vers l'an 500 ou 570, sous l'épiscopat de saint Évode ou saint Vosy, comme on l'appelle communément dans le Velay. Saint Vosy fit bâtir l'église ; mais l'église faite, il fallait la consacrer. L'évêque partit donc pour Rome avec Scutarius, qui avait présidé à la construction de l'édifice mais ô prodige à peine eurent-ils fait une demi-lieue, qu'ils rencontrèrent sur les bords de la Loire, près de Coursac, deux vénérables vieillards, vêtus de blanc, graves et mystérieux. Saisi d'étonnement, Vosy leur demanda qui ils étaient et quel motif avait pu les décider à venir dans ces montagnes. L'un d'eux répondit « Nous arrivons de Rome et sommes envoyés par le saint père pour vous remettre de sa part ce que nous portons. » Il dit, et sur-le-champ leur donna deux petits coffrets remplis de reliques ; puis il ajouta « Prenez-les avec respect, quittez vos sandales, et allez déposer religieusement ce trésor dans l'endroit du sanctuaire qui vous paraîtra le plus convenable. Votre voyage est désormais inutile, la main des hommes ne doit point sacrer le temple du mont Anis ; aux anges seuls est réservé cet insigne honneur. Telles sont les volontés de Dieu ; et, pour que vous ne doutiez pas de mes paroles, je vous annonce qu'au moment où vous vous présenterez devant l'église les portes s'ouvriront, les cloches sonneront d'elles-mêmes tout l'intérieur du temple sera resplendissant de torches, de flambeaux, de cierges ardents vous entendrez une harmonie céleste, et vous sentirez le doux parfum de l'huile divine, qui aura servi à la consécration faite par les anges. » A ces mots, les deux vieillards, ou plutôt les deux messagers miraculeux, dépouillant leur humaine figure, s'évanouirent. Vosy et Scutarius furent longtemps à revenir de leur surprise. Cependant ils ne pouvaient douter de la réalité de l'apparition ; ils tenaient en leurs mains les précieux coffrets; aussi firent-ils prévenir le peuple de ce qui venait d'arriver. A cette nouvelle, on accourut en foule au-devant des saintes reliques si merveilleusement apportées ; puis chacun s'achemina vers la montagne. Quand on fut au moment d'entrer dans l'église, les portes s'ouvrirent d'elles-mêmes, les cloches sonnèrent en un mot, la prédiction des deux vieillards fut en tous points accomplie. C'est ainsi que les légendaires racontent l'origine de l'église du Puy citons, parmi les reliques alors données ou plus tard apportées à Notre-Dame, une cruche des noces de Cana, le doigt de saint Jean-Baptiste, le cornet de saint Hubert, deux sandales de saint Martial, etc.

Ajoutons, pour sortir du domaine des fables,
que le savant archiviste du département, M. Aymar, donne à cette
église une origine plus ancienne. Selon lui, elle aurait été construite
sur les débris d'un temple païen, ou peut-être même sur l'emplacement
d'un opidum gaulois, antérieurement à l'édifice romain. Quoi qu'il
en soit, saint Vosy quitta Ruessio, l'ancienne métropole, et transféra
le siège épiscopal à Aniciacna. C'est, du moins, ce que semble confirmer
une inscription trouvée au Puy en 1712. D'autres, cependant, donnent
à cette église pour premier évêque saint Georges, qu'ils font disciple
de saint Pierre et dont l'église collégiale, dans la ville du Puy,
a conservé son nom et ses reliques. Après saint Vosy l'église de
cette ville ne fit que prospérer. Sous saint Bénigne, elle hérita
du logis de la Tête de Boeuf, riche hôtellerie qui appartenait à
un homme appelé Gras-Nanant. Celui-ci, n'ayant pas d'enfants, légua,
pour le salut de son âme, tous ses biens à l'évêque. A Bénigne succéda
saint Agrève, d'origine espagnole. Alors le Velay gémissait sous
le joug des Wisigoths ariens.
Saint Agrève, en combattant l'hérésie,
s'attira la persécution. Ses ennemis résolurent de le faire périr.
Ils subornèrent son barbier, qui devait lui couper la gorge au moment
de le raser. « Dieu, dit la légende, ne voulut pas que ce crime
s'accomplit ; il en prévint son fidèle disciple par un pressentiment.
C'est pourquoi, quand l'assassin s'avança son rasoir à la main,
Agrève le saisit vivement par le bras, lui dit qu'il connaissait
son cruel projet, mais qu'il ne l'accomplirait pas, parce que son
heure de mourir n'était pas venue ; puis, sans s'émouvoir, le saint
évêque s'assit tranquillement, tendit le cou et ordonna à cet homme
de le raser. Le barbier fut si étonné, si épouvanté de cette soudaine
révélation, qu'il éprouva un profond repentir de ce qu'il allait
faire. Cependant, il obéit et, en mémoire de ce miracle, recueillit
religieusement un poil de la barbe du protégé de Dieu. Cette précieuse
relique fut, dit-on, donnée par lui à l'église de Grenoble, où son
simple attouchement guérissait les maladies du visage. Charlemagne,
ayant soumis le Bigorre, vint assiéger le château de Mirambel, dont
les Sarrasins, sous les ordres de Mirat, s'étaient emparés. « Ce
château, dit la chronique, était sur le point de se rendre faute
de vivres, lorsque, par la faveur de Notre-Dame du Puy, un aigle
y apporta dans son bec un grand poisson. Mirat envoya aussitôt ce
poisson à Charlemagne pour lui montrer qu'il avait encore des ressources;
mais l'évêque du Puy n'y fut point trompé, et il proposa une capitulation
que Mirat accepta. Le Sarrasin se reconnut vassal de Notre-Dame
du Puy, et donna à l'évêque une poignée de foin pour lui tenir lieu
de reconnaissance. Charlemagne, ayant ratifié le traité, Mirat et
tous ceux de sa suite, portant au bout de leurs lances des bottes
de foin, allèrent au Puy pour y faire hommage à la Vierge et y recevoir
le baptême. » C'est en mémoire de cette capitulation que les comtes
de Bigorre portaient à Notre-Dame du Puy, lorsqu'ils allaient y
prendre leur chevalerie, des bottes de foin coupé dans les prés
du château de Mirat.

D'abord circonscrite au rocher de Corneille,
où étaient l'église, le cloître, la maison des chanoines et un château
fort, la ville des Aniciens se développa rapidement. Bientôt l'invasion
des barbares obligea les habitants à s'abriter derrière de hautes
murailles. Ainsi protégée par sa vierge miraculeuse, et défendue
par ses remparts, elle souffrit peu des guerres qui agitèrent l'empire.
Son église était riche, puissante et renommée, et ses évêques avaient
de grands privilèges. Au Xème siècle, ils régnaient sans
partage sur le Velay. Cependant les seigneurs féodaux commençaient
à remuer. Caractère ferme, esprit résolu, l'évêque Gui II les tint
en respect. On dit qu'il fut l'un des premiers à saluer roi le comte
de Paris, Hugues Capet. Jusque-là, les évêques du Puy n'avaient
point reconnu l'autorité royale. Relevant immédiatement du Saint-Siège,
ils avaient le privilège de porter le Pallum, de rendre la justice,
de battre monnaie, etc. Outre la ville du Puy et son territoire,
ils possédaient de nombreux châteaux. On comptait jusqu'à cent fiefs
mouvant de leur siège. Aussi était-il ambitionné par les plus grandes
familles non seulement du Velay, mais de la chrétienté.
Il y
avait alors, au château de Polignac, un seigneur riche et puissant.
Il s'appelait Hermann ou Armand. Déjà roi des montagnes, il aspirait
à régner sur le Velay. Il fit élire évêque du Puy l'un de ses fils,
Étienne, dit Brise-Fer, ainsi nommé à cause de son caractère violent
et emporté, Celui-ci prit possession de son siège moins en pasteur
qu'en conquérant. Il entra dans sa ville épiscopale au bruit des
fanfares et aux acclamations des hommes d'armes de son père. Après
quoi, il alla à Rome se jeter aux pieds du pape, qui le confirma
dans son élection. À son retour, fort de la puissante position de
sa famille, il ne se fit aucun scrupule de trafiquer des choses
saintes. C'était sous le pontificat de Grégoire VII. On sait la
rude guerre que ce grand pape fit aux simoniaques ; il menaça de
l'anathème Brise-Fer qui, loin de se soumettre, en appela aux armes.
Il fut excommunié. Hugues de Die, légat du pape, se rendit au Puy
et y publia, au milieu d'une messe solennelle, la sentence fulminée
contre le simoniaque et l’homicide. Brise-Fer feignit la soumission
et se retira dans le château de son père, laissant passer l'orage
; mais à peine le légat fut-il parti qu'il reprit violemment possession
de son église. Nouveaux anathèmes de Grégoire VII, qui enjoignit
aux chanoines et aux fidèles du Puy de secouer le joug de l'oppresseur
et de se séparer de lui, « pour ne pas servir le démon auquel il
s'était livré. » Brise-Fer mourut impénitent.
N'ayant pu réussir
à s'emparer de l'église du Velay, Armand de Polignac s'appliqua
à en diminuer la puissance. Il associa à ses projets ses deux autres
fils, Héracle et Pons, dignes instruments de son ambition. Aymar
de Monteil occupait alors le siège du Puy. C'était un homme ferme
et courageux il les contint dans le devoir ; mais il dut partir
pour la croisade, et, profitant de son absence, ils se jetèrent
à main armée sur les terres de l'église ancienne, pillant les fermes
et les abbayes. Maîtres de toutes les routes qui conduisaient à
la ville, ils s'y fortifièrent, mettant à contribution les marchands
et les passagers. Aymar de Monteil était mort en terre sainte. Trop
faible pour lutter contre ces terribles chefs de routiers, Pierre
III, son successeur, recourut au roi Louis VII.

Alors, la royauté, s'éveillant de son long sommeil, commençait à se faire sentir dans le pays. Louis VII se rendit au Puy avec son armée. « C'était la première fois, dit Sismondi, qu'un roi de la troisième race passait les frontières de la Septimanie, enseignant ainsi aux peuples que leurs seigneurs avaient eux-mêmes un seigneur auquel ils pouvaient recourir. » Non seulement il confirma, mais il étendit les privilèges de l'évêque du Puy ; il ordonna qu'il ne serait « permis à personne soit de la cité, soit dans les autres lieux dépendant de l'autorité dudit évêque et de son église, soit même sur les limites des domaines de l'évêché, c'est-à-dire du Rhône à la Loire, d'Ales jusqu'à Montbrison, de Saint-Alban au Puy, d'exercer aucune violence ou de faire aucune levée d'impôts, d'établir aucune coutume, d'exiger aucun péage, d'élever de nouvelles forteresses, etc. De son côté, l'évêque jura fidélité au roi et à ses successeurs, et s'engagea à lui remettre, quand il l'exigerait et chaque fois qu'il viendrait au Puy, tous les forts de la ville. Ainsi la royauté, en octroyant des franchises, faisait ses réserves. Cependant, la lutte des évêques du Puy et des sires de Polignac se prolongea longtemps encore, et le vieil Armand était mort que ses deux fils, Héracle et Pons, cent fois parjures, résistaient toujours ; mais enfin la royauté y mit ordre. A peine délivré des Polignac et des routiers, Le Puy eut à souffrir de ses évêques, devenus plus tyrans et plus exacteurs que les terribles châtelains auxquels ils n'avaient fait une guerre si rude et si longue que pour s'enrichir de leurs dépouilles et dominer dans le Velay. Robert de Mehun, entre autres, y fit sentir sa main de fer. Parent de Philippe-Auguste, esprit fier et hautain, cœur impitoyable, il prêcha la croisade contre les Albigeois et établit une sorte d'inquisition dans la province. « Sachez, disait-il, que rien ne me coûtera pour conserver pur l'air qu'on respire dans ce pays. » Ses gens d'armes allaient par la ville, vexant le peuple, se faisaient ouvrir les tavernes même après le couvre-feu, passaient la nuit à boire et à jouer, et payaient souvent leur écot en battant ou en injuriant leurs hôtes. « Ils en faisoient tant et tant, disent des mémoires contemporains, que le pauvre peuple en perdit patience. » Le 15 février 1217, il se révolta. Des bandes armées de fourches, de piques et de torches ardentes, parcourent la ville, frappant à toutes les portes et criant « Alerte compaignons, descendez et venez avec nous ! la chasse sera bonne ; on court enfumer le renard ! » Bientôt la foule assiège le palais de l'évêque ; mais les archers font pleuvoir du haut des créneaux une grêle de traits sur les assaillants ; puis, prenant l'offensive, ils les refoulent dans une sortie. Cependant le peuple revient à la charge. Après un combat nocturne dans les rues, les archers sont dispersés, le château épiscopal pris et saccagé ; mais Robert s'était sauvé par une secrète issue. Vainement, du fond de sa retraite, il prie, il menace, rien ne peut fléchir le peuple. Alors il en appelle au pape, qui se hâte d'envoyer trois légats à son secours. Arrivés au Puy, les légats trouvèrent la ville tranquille, mais indifférente.

Des moines fanatiques essayèrent en vain
d'ameuter le peuple contre ce qu'ils appelaient les rebelles hérétiques.
Ceux-ci reprennent les armes, plusieurs moines sont tués ; on met
le feu aux maisons des zélés partisans de l'évêque, les trois légats
s'en retournèrent comme ils étaient venus mais le pape déféra la
cause à Philippe-Auguste. Ce prince se rendit au château de Vernon
et y assigna les parties. Robert de Mehun se présenta, accompagné
de quelques amis ; la ville était représentée par dix notables en
1218. On convint que les habitants du Puy auraient le droit de voter
l'impôt, d'élire leurs magistrats, d'avoir un sceau et une maison
commune, sans préjudice des intérêts et des privilèges de l'évêque.Cette
demi-satisfaction obtenue, Robert rentra dans sa ville épiscopale
; mais, à la vue de son palais dévasté, il ne put maitriser ses
ressentiments ; il menaça de sa vengeance les chefs de la révolte.
Bertrand de Cares, l'un d'eux qu'il avait excommunié, résolut sa
perte. Secondé par une vingtaine de conjurés, il se jeta sur le
prélat tandis qu'il sortait du village de Saint-Germain, et le massacra
une partie de sa suite. On dit qu'ayant obtenu de la cour de Rome
l’absolution de leur crime, les meurtriers en furent quittes pour
faire pénitence.
À Robert de Mehun succéda Bertrand de Montaigu,
qui, voyant l'abaissement du siège épiscopal du Velay, essaya de
le relever. Il se fortifia dans son château ; le peuple, craignant
pour ses franchises, prévint les desseins de l'évêque, et l'obligea
de prendre la fuite. Sur la plainte du prélat, le roi saint Louis
lui envoya des troupes qui le rétablirent dans sa ville épiscopale.
Ce prince même, à son retour de la Palestine, passa par Le Puy il
y reçut le droit de gite de la part des bourgeois, de l'évêque et
du chapitre en 1254 ; il ne se contenta point de protéger l'église
du Puy, il la dota de nouveaux privilèges et la combla de ses libéralités.
On croit qu'il lui fit présent d'une épine de la couronne du Christ
et d'une statue de Notre-Dame, dont l'arrivée au Puy fut une grande
et mémorable fête.
Cependant les évêques ne se lassaient pas
d'opprimer la ville, ni le peuple de se plaindre ou de se révolter.